
Les risques de la grossesse
J’ai écrit ce billet pour le blogue des HTMlles, un festival féministe d’art médiatique et de culture numérique qui aura lieu à Montréal du 10 au 18 novembre. Le thème de cette année est « Affaires à risques », c’est pourquoi j’ai exploré sommairement les risques de la grossesse. Ce texte est également publié sur mon autre blogue, Je suis féministe.
J’ai longtemps pensé à comment aborder le sujet des risques de la grossesse pour ce billet. Désormais à 40 semaines de gestation, le seul risque qui me pend au bout du nez, c’est que je n’aie pas le temps de terminer parce que je dois aller accoucher.
J’aurais pu vous entretenir de tous les risques médicaux reliés au seul fait d’héberger et construire un nouvel être humain. Être enceinte amène son lot de changements et chaque corps réagit comme il peut à cette mécanique hormonale et physiologique. Certaines auront des grossesses faciles, d’autres vivront les pires neuf mois de leur vie. Dans la liste des choses non-agréables et communes : fatigue, nausée, crampes musculaires, reflux gastriques, maux de dos, constipation, hémorroïdes, engourdissements, insomnie, acné et anémie. C’est déjà assez déprimant pour ne pas s’aventurer du côté des tests de dépistage courants, autant pour la mère que son fœtus : diabète, hypertension, trisomie 21, malformations cardiaques et anomalies chromosomiques. Sans oublier de mentionner que plus vous êtes âgée, plus vous risquez gros. D’abord, vous risquez d’avoir de la difficulté à tomber enceinte. De plus, les chances d’avoir une fausse couche ou un enfant avec un handicap se multiplient avec les années qui passent.
Faisons donc dévier le sujet vers quelque chose de moins lourd, mais tout aussi risqué : afficher sa maternité florissante dans l’espace public. L’enfant qui se forme à l’intérieur de votre utérus a beau être le vôtre, il semble qu’il appartient aussi un peu à tout le monde. Lorsque vous vaquez à vos occupations les plus anodines, les regards plein de bonnes intentions se poseront sur vous pour juger la façon dont vous gérez votre grossesse. Et c’est un processus tout ce qu’il y a de plus démocratique : autant votre mère qu’un inconnu rencontré à la pharmacie peut (et se sent investi de la mission de) vous donner son avis.
Car le « miracle de la vie » qui se développe sous votre nombril doit être préservé de tous les risques, notamment et surtout ceux qui pourraient être induits par un comportement douteux de votre part. Petite maman, vous devez être irréprochable pour le bien de l’héritier/héritière que vous portez. Votre jugement pourrait être brouillé par les hormones, voilà pourquoi des personnes plutôt random tâchent de vous mettre sur le droit chemin. Soyez donc avertie que les interventions et les questions teintées d’inquiétude se multiplieront si vous vous adonnez à l’une de ces activités :
- pratiquer un sport (préférez un cours d’aérobie avec les bedonnantes de votre espèce)
- manger au restaurant (évitez le cru, les charcuteries, certains types de poissons, l’alcool, la caféine et mille autres choses)
- faire la fête (ne vous exposez pas à la fumée secondaire, gare aux nuits courtes, ayez le déhanchement léger)
- faire l’épicerie (ne succombez pas aux munchies bizarres et équilibrez votre alimentation)
- travailler (réduisez le stress et tâchez de ne pas trébucher en talons hauts)
Autre risque : l’intrusion d’étrangers dans votre espace privé. La preuve flagrante que votre corps ne vous appartient plus vraiment : certains enthousiastes n’auront aucune gêne à vous toucher le ventre sans vous demander la permission. D’autres profiteront de votre état captif dans les transports en commun pour tout savoir sur vous ou encore mieux, deviner les détails suivants à la lumière de leur grande expérience de vie : le nombre de mois de grossesse, le sexe du bébé, si c’est votre premier et comment vous allez l’appeler. Prévoyez également un certain nombre de commentaires déplacés sur la forme de votre bédaine (révélant avec certitude le sexe de votre bébé) et votre poids (jamais correct). Vous aurez également droit à un lot d’anecdotes tout à fait gratuites et parfois graphiques (un mot : vergetures).
Ces risques sociaux sont peut-être plus anodins que les risques médicaux, mais il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent être pénibles à vivre au quotidien. La femme enceinte doit composer non seulement avec le poids de la grossesse, mais aussi avec celui du tribunal des bien pensants qui s’invite dans son intimité et questionne ses choix. La femme enceinte appartient davantage à tout le monde qu’à elle-même. Infantiliserait-on celles qui portent des enfants?
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